Promenade singulière (1)
Ou comment un maitre apprend de son chien
C'est avec beaucoup de bonheur et d'émotion que je partage avec vous les mots d'un ami cher, un poète disparu qui savait entrelacer les mots et les images avec intelligence et délicatesse... Son chien Flip l'accompagnait dans ses promenades, et inspirait aussi sa plume...
Il faut que je vous le dise
Mon chien, Flip
Mon Bien Aimé Flip (BAF)
M’a quitté
Il était sourd et perclus de rhumatisme
Il avait 16 ans
Ce qui est un fort bel âge pour une bête de sa race
C’est sa photo sur le mur
Qui me remémore aujourd’hui
L’incident que je vais vous conter
Il est là immobile devant moi
Ses yeux dorés me regardent fixement
Et ce soir il me semble que depuis l’au-delà des chiens
Il cherche à me parler comme il le faisait autrefois
Quand nous étions dans la forêt profonde
Temps où nous avons eu de tant à autre
De si belles conversations sans mot
Et voici que tout à coup les souvenirs me reviennent
Précis, vivants avec une netteté qui m’étonne…
C’était la fin de l’après midi
D’une de ses courtes, froides
Et brumeuses journées d’automne
Les contours des grandes silhouettes sombres des épicéas géants
Étaient estompés par la brume
Les buis, toujours un peu nostalgiques
Nous caressaient gentiment les joues
De la pointe de leurs branches ourlées de gouttelettes de brouillard
Des fougères, déjà marquées par les premières gelées matinales
Garnissaient les espaces laissés libres entre les grands arbres
Des araignées besogneuses
Avaient tissé leurs pièges de dentelles en travers des sentiers
Il me fallait, pour pouvoir passer, d’un coupable revers de main les déchirer
Nous avions marché un peu au hasard
Ou peut-être, perdu dans mes pensées, l’avais-je, (Flip) sans y prendre garde
Suivi dans les méandres mystérieux des sentes parfumées à l’humus
Lui savait toujours exactement où il allait.
À la réflexion il me semble bien que ce jour-là, il était particulièrement décidé
Une promenade forestière à cette heure du jour était vraiment inhabituelle !
Mais il avait tant insisté par mille mimiques
Qu’il m’avait fait comprendre qu’il fallait absolument y aller
Mon emploi du temps me le permettant
J’ai donc pris sa laisse et nous sommes partis.
Je ne le savais pas encore mais c’était lui
Lui qui me promenait ce soir-là,
Pas plus que je ne savais qu’il avait,
La veille ou l’avant veille (comment savoir ?)
Pris rendez-vous, et tenait sans doute à me donner à Moi
Le BAM (Bien Aimé Maitre) souverain, une grande leçon d’humilité
Ce jour-là lui, Mon BAF (Bien Aimé Flip)
Allait me faire comprendre à sa manière
Que la base de la connaissance est de savoir qu’on ne sait pas
Et que nier ce qu’on ne voit pas
Est aussi stupide que de nier
Les mille et une odeurs qui le guident sûrement au milieu des buis les plus touffus …
À suivre…
Jean Comtesse